Page:Sade - La nouvelle Justine, ou les malheurs de la vertu, suivie de L'histoire de Juliette, sa soeur, tome 2, 1797.djvu/29

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que nous pouvons avoir des idées sans les sens, serait aussi absurde que de dire qu’un aveugle de naissance pourrait avoir une idée des couleurs. Eh ! non, Justine, non, ne croyons pas que notre ame puisse agir d’elle-même ou sans cause, dans aucun des instans de notre vie ; absolument liée aux élémens matériels qui composent notre existence, entièrement dépendante d’eux, toujours soumise aux impressions des êtres qui agissent en nous nécessairement, et d’après leurs propriétés, les mouvemens secrets de ce principe, vulgairement appelé âme, sont dus à des causes cachées au-dedans de nous-mêmes ; nous croyons que cette ame se meut, parce que nous ne voyons pas les ressorts qui la remuent, ou parce que nous supposons ces mobiles incapables de produire les effets que nous admirons ; la source de nos erreurs vient de ce que nous regardons notre corps comme de la matière brute et inerte, tandis que ce corps est une machine sensible qui a nécessairement la conscience momentanée de l’impression qu’il reçoit, et la conscience du moi par le souvenir des impressions successivement éprouvées. Retiens-le, Justine, ce n’est jamais que par nos sens que les êtres nous sont connus, ou