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d’une des plus célèbres abbayes de Paris, elle jouissait de soixante mille livres de rente, elle tenait à toute la cour, à toute la ville, à quel point devait-elle mépriser une pauvre fille comme moi, qui, jeune, orpheline, et sans un sou de bien, ne pouvait opposer à ses injustices que des réclamations qui se fussent bientôt anéanties, ou des plaintes qui, traitées sur le champ de calomnies, eussent peut-être valu à celle qui eût eu l’effronterie de les entreprendre, l’éternelle perte de sa liberté.

Étonnemment corrompue déjà, cet exemple frappant d’une injustice dont j’avais pourtant à souffrir, me plût, au lieu de me corriger. Eh bien ! me dis-je, je n’ai qu’à tâcher d’être riche à mon tour, je deviendrai bientôt aussi impudente que cette femme, je jouirai des mêmes droits et des mêmes plaisirs. Gardons-nous d’être vertueuse, puisque le vice triomphe sans cesse ; redoutons la misère, puisqu’elle est toujours méprisée… mais n’ayant rien, comment éviterai-je l’infortune ? Par des actions criminelles, sans doute ; qu’importe, les conseils de madame Delbène ont déjà gangréné mon cœur et mon esprit ; je ne crois de mal à