Page:Sade - La nouvelle Justine, ou les malheurs de la vertu, suivie de L'histoire de Juliette, sa soeur, tome 5, 1797.djvu/329

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un autre homme et nous ; lien chimérique… absurde, dont nous avons formé cette espèce de fraternité sanctifiée par la religion ; c’est sur cet objet principal que je dois jeter quelques lumières, parce que j’ai toujours vu que l’idée de ce lien fantastique gênait et captivait les passions infiniment plus qu’on ne pense ; et c’est en raison du poids qu’il a sur la raison humaine, que je veux le briser à tes yeux.

Toutes les créatures naissent isolées et sans aucun besoin les unes des autres ; laissez les hommes dans l’état naturel, ne les civilisez point, et chacun trouvera sa nourriture, sa subsistance, sans avoir besoin de son semblable : les forts pourvoiront à leur vie sans nécessité d’assistance : les faibles seuls en auront peut-être besoin ; mais ces faibles nous sont asservis par la main de la nature ; elle nous les donne ; elle nous les sacrifie ; leur état nous le prouve : donc le plus fort pourra, tant qu’il voudra, se servir du faible ; mais il est faux qu’il y ait aucun cas où il doive l’aider, car s’il l’aide, il fait une chose contraire à la nature ; s’il jouit de ce faible, s’il l’assouplit à ses caprices, s’il le tyrannise, le vexe, s’il s’en