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Page:Sagard - Le Grand voyage du pays des Hurons (Avec un dictionnaire de la langue huronne), Librairie Tross, 1865.djvu/107

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semées en ce petit jardin, y profiterent assez bien, encore que la terre en fust fort maigre, comme l’vn les pires et moindres endroicts du pays.

Mais, pour auoir faict nostre Cabane hors de saison, elle fut couuerte de tres-mauuaise escorce, qui se decreua et fendit toute, de sorte qu’elle nous garantissoit peu ou point des pluyes qui nous tomboient par tout, et ne nous en pouuions deffendre ny le iour ny la nuict, non plus que des neiges pendant l’hyuer, de laquelle nous nous trouuions par-fois couuerts le matin en nous leuant. Si la pluye estoit aspre, elle esteignoit nostre feu, nous priuoit du disner, et nous causoit tant d’autres incommoditez, que ie puis dire auec verité, que iusqu’à ce que nous 101|| y eussions vn peu remedié, qu’il n’y auoit pas vn seul petit coin en nostre Cabane, où il ne pleust comme dehors, ce qui nous contraignait d’y passer les nuicts entieres sans dormir, cherchans à nous tenir et ranger debout ou assis en quelque petit coin pendant ces orages.

La terre nuë ou nos genoüils, nous seruoient de table à prendre nostre repas, ainsi comme les Sauuages, et n’auions non plus de nappes ny seruiettes à essuyer nos doigts, ny de cousteau à couper nostre pain ou nos viandes : car le pain nous estoit interdict, et la viande nous estoit si rare, que nous auons passé des 6 sepmaines, et deux ou trois mois entiers sans en manger, encore n’estoi-ce quelque petit morceau de Chien, d’Ours ou de Renard, qu’on nous donnoit en festin, excepté vers Pasques et en l’Automne, que quelques François nous firent part de leur chasse et gibier. La chandelle de quoy nous nous seruions la nuict, n’estoit que de petits cornets d’escorce de Bou-