Page:Sagard - Le Grand voyage du pays des Hurons (Avec un dictionnaire de la langue huronne), Librairie Tross, 1865.djvu/180

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autre, et se couchent sur le ventre par les champs et forests, et à costé des grands chemins et sentiers, et la nuict venue ils rodent par tout, et entrent iusques dans les bourgs et villages, pour tascher d’atraper quelqu’vn, soit homme, femme ou enfant, et s’ils en prennent en vie, les emmenent en leur pays pour les faire mourir à petit feu, sinon après leur auoir donné vn coup de massuë, ou tué à coups de flesches, ils en emportent la teste ; que s’ils en estoient trop chargez, ils se contentent d’en emporter la peau auec sa cheuelure, qu’ils appellent Onontsira, les passent et les serrent pour en faire des trophées, et mettre en temps de guerre sur les pallissades ou murailles de leur ville, attachées au bout d’vne longue perche.

Quand ils vont ainsi en guerre et en pays d’ennemis, pour leur viure ordinaire ils portent quant eteux, chacun derriere son dos, vn sac plein de farine de bled 204|| rosty et grillé dans les cendres, qu’ils mangent crue, et sans estre trempée, ou bien destrempée auec vn peu d’eau chaude ou froide, et n’ont par ce moyen à faire de feu pour apprester leur manger, quoy qu’ils en fassent par-fois la nuict au fond des bois pour n’estre apperceus, et font durer cette farine iusqu’à leur retour, qui est enuiron de six semaines ou deux mois de temps : car après ils viennent se rafraischir au pays, finissent la guerre pour ce coup, ou s’y en retournent encore auec d’autres prouisions. Que si les Chrestiens vsoient de telle sobrieté, ils pourraient entretenir de tres-puissantes armées auec peu de fraiz, et faire la guerre aux ennemis de l’Eglise, et du nom Chrestien, sans la foule du peuple, ny la ruyne du pays, et Dieu n’y seroit point