Page:Sagard - Le Grand voyage du pays des Hurons (Avec un dictionnaire de la langue huronne), Librairie Tross, 1865.djvu/48

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qu’ils laissoient traisner apres le nauire ; ce sont poissons vn peu plus gros que des rougets, et desquels on faisoit du potage qui estoit assez bon, et le poisson aussi : pendant que ie me trouuois mal cela me fortifia vn peu ; mais ie me desplaisois grandement que le Chirurgien qui auoit soin des malades estoit Huguenot, et peu affectionné enuers les Religieux, c’est pourquoy i’aymois mieux patir que de le prier, aussi n’estoit-il gueres courtois à personne. Passant deuant l’Isle de Ré, on remplit nos bariques d’eau douce pour nostre voyage, on mit les voiles au vent, et le cap à la route de Canada, puis nous cinglasmes par la Manche en haute mer, à la garde du bon Dieu, et à la mercy des vents.

À deux ou trois cens lieues de mer, vn pirate ou forban nous vint recognoistre, et par mocquerie et menace nous dit qu’il I 4|| parleroit à nous apres souper, il ne luy fut rien respondu, mais parti d’aupres de nous on tendit le pont de corde, et chacun se tint sur ses armes pour rendre combat, au cas qu’il fust reuenu, comme il auoit dict : mais il ne retourna point à nous, ayant bien opinion qu’il n’y auoit que des coups à gaigner, et non aucune marchandise : toutesfois il fut encore trois ou quatre iours à voltiger et rôder à nostre veuë, cherchant à faire quelque prise et piraterie.

Il arriua vn accident dans nostre nauire, le premier iour du mois de May, qui nous affligea fort. C’est la coustume en ce mesme iour, que tous les matelots s’arment au matin, et en ordre font vne salue d’escoupeterie au Capitaine du vaisseau : vn bon garçon, peu vsité aux armes, par mesgard et imprudence,