Page:Sagard - Le Grand voyage du pays des Hurons (Avec un dictionnaire de la langue huronne), Librairie Tross, 1865.djvu/49

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donna vne double ou triple charge à vn meschant mousquet qu’il auoit, et pensant le tirer il se creua, et tua le matelot qui estoit à son costé, et en blessa vn autre legerement à la main. Ie n’ay iamais rien veu de si resolu comme ce pauure homme blessé à la mort : car ayant toutes les parties naturelles couppées et emportées, et quelques peaux des I 6 || cuisses et du ventre qui luy pendoient : après qu’il fut reuenu de pasmoison, à laquelle il estoit tombé du coup, luy-mesme appela le Chirurgien, et l’enhardit de coudre sa playe, et d’y appliquer ses remedes, et iusqu’à la mort parla auec vn esprit aussi sain et arresté, et d’vne patience si admirable, que l’on ne l’eust pas iugé malade à sa parole. Le bon Pere Nicolas le confessa, et peu de temps après il mourut : après il fut enueloppé dans sa paillasse, et mis le lendemain matin sur le tillac : nous dismes l’Office des morts, et toutes les prieres accoustumées, puis le corps ayant esté mis sur vne planche, fut faict glisser dans la mer, puis vn tison de feu allumé, et vn coup de canon tiré, qui est la pompe funebre qu’on rend d’ordinaire à ceux qui meurent sur mer.

Depuis, nous fusmes agitez d’vne tourmente si furieuse, par l’espace de sept ou huict iours continuels, qu’il sembloit que la mer se deust ioindre au Ciel, de sorte que l’on auoit de l’apprehension qu’il se vint à rompre quelque membre du nauire, pour les grands coups de mer qu’il souffrait à tout moment, ou que les vagues furieuses, qui donnoient iusques par dessus I 7|| la dunette, abysmassent nostre nauire : car elles auoient desia rompu et emporté les galleries, auec tout ce qui estoit dedans : c’est pour-