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Page:Sagard - Le Grand voyage du pays des Hurons (Avec un dictionnaire de la langue huronne), Librairie Tross, 1865.djvu/50

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quoy on fut contrainct de mettre bas toutes les voiles, et demeurer les bras croisez, portez à la mercy des flots, et ballottez d’vne estrange façon pendant ces furies. Que s’il y auoit quelque coffre mal amarré, on l’entendoit rouler, et quelsquefois la marmite estoit renuersée, et en disnant ou soupant si nous ne tenions bien nos plats, ils voloient d’vn bout de la table à l’autre, et les falloit tenir aussi bien que la tasse à boire, selon le mouuement du nauire, que nous laissions aller à la garde du bon Dieu, puis qu’il ne gouuernoit plus.

Pendant ce temps-là, les plus deuots prioyent Dieu ; mais pour les matelots, ie vous asseure que c’est alors qu’ils sont moins deuots, et qu’ils taschent de dissimuler l’apprehension qu’ils ont du naufrage, de peur que venans à en eschapper ils ne soient gaussez les vns des autres, pour la crainte et la peur qu’ils auroient temoignées par leurs deuotions, ce qui est vne vraye inuention du diable, pour faire perdre les personnes en mauuais estat. Il est I 8|| tres-bon de ne se point troubler, voire tres-necessaire pour chose qui arriue, à cause qu’on en est moins apte de se tirer du danger ; mais il ne s’en faut pas monstrer plus insolent, ains se recommander à Dieu, et trauailler à ce à quoy on pense estre expedient et necessaire à son salut et deliurance. Or, ces tempestes bien souuent nous estoient presagées par les Marsouins, qui enuironnoient nostre vaisseau par milliers, se ioüans d’vne façon fort plaisante, dont les vns ont le museau mousse et gros, et les autres pointu.

Au temps de cette tourmente ie me trouuay vne fois seul auec mon compagnon, dans la chambre du