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LA VIE DE CIREY.

douter qu’elles fussent à côté du commentateur de Newton. On la prenait pour une personne ordinaire ; seulement on s’étonnait de la rapidité et de la justesse avec laquelle on la voyait faire des comptes et terminer les différends. Dès qu’il y avait quelque combinaison à faire, la philosophe ne pouvait plus se cacher. Je l’ai vue un jour diviser neuf chiffres par neuf autres chiffres, de tête et sans aucun secours, en présence d’un géomètre étonné qui ne pouvait la suivre. » Il nous faut prendre la moyenne, comme il convient ordinairement de le faire, entre ces jugements de témoins intéressés. L’aptitude naturelle de madame du Châtelet pour les sciences ne peut étre contestée ; mais il y avait bien aussi dans sa constance à les cultiver quelque chose d’un rôle soutenu avec effort.


Au reste, Émilie n’était pas seulement sensible aux sciences, elle goûtait tous les genres de travaux auxquels Voltaire appliquait son activité. Madame de Graffigny l’accuse bien d’exercer une pression constante sur Voltaire pour le détourner de la littérature. « Elle lui tourne la tête, dit-elle, avec la géométrie ; elle n’aime que cela ; » mais Émilie s’est défendue elle-même de ce reproche. « Nous sommes bien loin d’abandonner ici la poésie pour les mathématiques, écrit-elle à l’ami de Voltaire, au comte d’Argental. Ce n’est pas dans cette heureuse solitude qu’on est assez barbare pour mépriser aucun art. C’est un étrange rétrécissement d’esprit que d’aimer une science pour haïr toutes les autres ; il faut laisser ce fanatisme à ceux qui croient qu’on ne peut plaire à Dieu que dans leur secte. On peut donner des préférences, mais pourquoi donner des exclusions ? La nature nous a laissé si peu de portes par où le plaisir et l’instruction peuvent entrer dans nos âmes ! Faudrait-il n’en ouvrir qu’une ? »