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PUBLICATION DES ÉLÉMENTS.

lequel se montra fort mécontent des critiques de Voltaire et trouva fort déplaisant le rôle qu’on lui prêtait.

On rencontre donc dans les Éléments le ton de la véritable vulgarisation scientifique, de celle qui s’adresse aux esprits capables de comprendre les sciences. Aussi Voltaire ne voulut-il pas souffrir qu’on dit que son livre était écrit « pour tout le monde. » Un libraire d’Amsterdam, Lédet, en l’imprimant, avait eu la malheureuse idée d’employer cette formule dans le titre même de son édition. Il publiait « les Éléments de Newton mis à la portée de tout le monde. » Grande colère de Voltaire. Il injurie d’importance ce maroufle, cet âne bâté qui s’imagine que tout le monde peut comprendre Newton. Voltaire a la prétention de n’écrire que pour un certain nombre d’esprits délicats, et c’est déjà une difficulté de premier ordre que de faire entendre Newton à cette élite. Il n’y a qu’un libraire ignorant et brutal qui puisse prétendre autre chose[1] !

Le sentiment que Voltaire exprime avec trop de vivacité peut-être ne laisse pas d’être juste. Beaucoup de vulgarisateurs affectent en vain des allures enfantines pour se mettre à la portée d’un public nombreux. Il est des vérités qui restent inaccessibles au vulgaire, quelque forme qu’on leur donne.




  1. Ce n’était pas là d’ailleurs le seul reproche que Voltaire eût à faire au libraire Lédet au sujet de cette édition des Éléments. Pressé de la publier, malgré l’avis de l’auteur, et n’ayant pas encore les deux derniers chapitres du manuscrit, Lédet n’avait pas craint de faire terminer l’ouvrage par un mathématicien de Hollande. Voltaire ne découvrit que plus tard cette fraude inqualifiable pour laquelle il désavoua l’édition. La première édition reconnue par l’auteur parut en France en 1741 sous la rubrique de Londres.