Page:Saint-Amant - 1907.djvu/212

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Et, par une pitié sinistre et dangereuse,
Même avant le malheur me rendant malheureuse,
Je cherche ma ruine, y cours aveuglément,
Et du sort que je crains hâte l’événement.
    Amram, qui la regarde et qui voit en sa peine
Le sensible pouvoir de la faiblesse humaine,
D’une âme plus constante et plus raide au souci.
Tout d’un temps la rassure et la reprend ainsi ;
    Qu’est-ce là, Jocabel ? quelle crainte frivole
Se glisse en ton esprit, d’où la raison s’envole ?
Qu’as-tu fait de ton cœur ? Qu’as-tu fait de ta foi,
Ou plutôt de toi-même, au trouble où je te voi ?
Sont-ce là les trésors, les fruits de la sagesse
Dont le ciel t’a douée avec tant de largesse ?
Faut-il que ton ennui trahise ta vertu ?
Parle, chère moitié, pourquoi t’affliges-tu ?
Ah ! je vois ce que c’est : tu te fais trop entendre ;
Aux promesses d’en-haul on ne doit point s’attendre ;
Je t’ai dit une fable, et l’incrédulité
Te fait croire menteur le Dieu de vérité !
    Si jadis hardiment le saint reste du monde
Entra sur sa parole en l’arche vagabonde.
Quand la terre insolente osa heurter les cieux,
Quand l’œuvre de ses mains déplut même à ses yeux.
Quand il se repentit d’avoir fait son image,
Quand son vassal ingrat lui refusa l’hommage,
Quand, dis-je, son courroux, aussi juste qu’amer,
De tous cet univers ne fit rien qu’une mer,