Page:Saint-Bernard - Oeuvres complètes, trad Charpentier, Tome 2, 1866.djvu/290

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{{t2|Apologie de saint Bernard
adressée à Guillaume, abbé de Saint-Thierry.

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Petite préface.

C’est de bien grand cœur que, cédant à vos instances, je consens à composer un livre qui puisse faire cesser, dans le royaume de Dieu, les scandales qui le désolent, mais je ne me rends pas bien compte de ce que vous attendez de moi. En lisant et relisant votre si douce lettre, ce que je fais toujours avec un nouveau plaisir, j’ai compris que vous désirez que je réponde à ceux qui m’accusent de parler mal de l’ordre de Cluny et que je leur montre combien ils ont tort de le croire et de le faire croire aux autres. Mais si, après cela, je me permets, comme vous m’y engagez, de blâmer les superfluités des Clunistes dans le vêtement et dans le vivre, et dans tout ce que vous me signalez encore, je me mettrai évidemment en contradiction avec moi-même aux yeux de tout le monde, ce que je ne puis faire sans scandale. Je ne vois d’autre moyen que de faire l’éloge de l’ordre en lui-même, de blâmer ceux qui l’attaquent, tout en en condamnant moi-même les superfluités. Si ce plan vous agrée, veuillez me le faire savoir en termes plus clairs et, en même temps, priez Dieu, avec de nouvelles instances, pour que je fasse ce que vous souhaitez de moi, de la manière que vous le désirez. Je vous avouerai pourtant que Écrire nuit à la piété. V. les lettres 89 et 90. tous ces écrits ne vont guère pour moi sans quelque préjudice ; ils nuisent beaucoup à la piété en m’empêchant de me livrer à mon goût pour l’oraison, d’autant plus que je n’ai ni le temps ni l’habitude d’écrire.

Chapitre premier.

première partie. Saint Bernard proteste que lui et les siens sont très-éloignés de blâmer un ordre religieux quelconque.

Contre les critiques des Cisterciens.

Au vénérable Père Guillaume, le frère Bernard, serviteur inutile des frères de Clairvaux, salut en Notre-Seigneur.

1. Jusqu’à ce jour, ou je n’ai pas cédé à vos instances quand vous me pressiez d’écrire, ou bien je ne l’ai fait qu’à regret ; ce n’est pas que je ne tinsse aucun compte de vos ordres, mais c’est qu’il y eût eu présomption de ma part, ignorant comme je le suis, de m’y conformer. Mais aujourd’hui, pressé de le faire par de nouveaux motifs, je me sens enhardi par la nécessité, et, cédant au besoin de satisfaire tant bien que mal à ma douleur, je laisse de côté toutes mes anciennes appréhensions. Comment en effet pourrais-je vous entendre, en silence, vous plaindre de ce que, dit-on, nous qui sommes les plus misérables des hommes, semblables à ceux que l’Apôtre nous montre couverts de haillons, ceints d’une corde et vivant au fond des