Page:Saint-Lambert - Les Saisons, 1769.djvu/100

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Sa route sur le sable est à peine tracée ;
Il devance, en courant, la vue & la pensée ;
L’œil le suit & le cherche aux lieux qu’il a quittés.
Ses cruels ennemis par le cor excités
S’élevent sur ses pas au sommet des montagnes,
Et sur ses pas encor fondent sur les campagnes ;
Effrayé des clameurs & des longs hurlements,
Sans cesse, à son oreille apportés par les vents,
Vers ces vents importuns il dirige sa fuite :
Mais la troupe implacable ardente à sa poursuite
En saisit mieux alors ses esprits vagabonds ;
Il écoute, & s’élance, & s’éleve par bonds ;
Il voudroit ou confondre, ou dérober sa trace,
Se détacher du sable, & voler dans l’espace ;
Il change plus souvent sa route & ses retours ;
Dans le taillis obscur il fait de longs détours ;
Il revoit ces grands bois, théatre de sa gloire,
Où jadis cent rivaux lui cédoient la victoire,
Où couvert de leur sang, consumé de désirs,
Pour prix de son courage, il obtint les plaisirs.
Il force un cerf plus jeune à courir dans la plaine,
Pour présenter sa trace à la meute incertaine :
Mais le chasseur la guide & prévient son erreur ;
Le cerf est abattu, tremblant, saisi d’horreur,
Son armure l’accable, & sa tête est panchée,
Sous son palais brûlant sa langue est désséchée,
D’une ardente sueur ses flancs sont arrosés,
Et d’esprits agissants ses nerfs sont épuisés ;
Il s’arrête, il chancelle, il tombe, & les fanfares
Vont annoncer sa chûte à ses vainqueurs barbares.
Il entend de plus près des cris plus menaçants,
Il fait pour fuir encor des efforts impuissants,
Ses yeux appésantis laissent tomber des larmes,
Il se lève en fureur, il se sert de ses armes ;
L’excès du désespoir le soutient un instant,
Et sous l’acier funeste il meurt en combattant :
Le chasseur en triomphe, & d’un œil plein de joie
A ses pieds étendue il regarde sa proie.