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Page:Saint-Lambert - Les Saisons, 1769.djvu/109

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Nos devoirs sont encor nos plaisirs les plus doux ;
Ces noms si saints, si chers, & de père, & d’époux,
Ne sont point au hameau des titres, mais des chaînes ;
Hélas ! Ces doux liens qui seuls charmoient nos peines,
Ne font plus aujourd’hui qu’augmenter nos douleurs ;
A nos tristes enfants nous léguons nos malheurs ;
Tourmentés de leur sort, fatigués de notre être,
Nous pleurons, auprès d’eux, de les avoir fait naître ;
On vient entre nos mains arracher les secours
Dont un soin paternel soutient leurs foibles jours ;
De l’humble agriculteur, sans force & sans défense,
Des brigands effrénés dévorent la substance ;
Nous respectons la loi, victime des abus,
Avec joie, à l’état nous offrons nos tributs ;
Les cœurs des malheureux sont rarement avares :
Mais faut-il immoler à des monstres barbares
Le sang de nos enfants ? Le prix de nos travaux ?
Faut-il seuls de l’état supporter les fardeaux ?
Ou loin des lieux chéris qu’ont habités nos pères,
Aller porter nos pleurs, aux rives étrangères.
Ah ! Les rois sont humains & veulent être aimés,
S’ils soupçonnoient les maux des peuples opprimés,
Ils sçauroient les venger des oppresseurs avides,
Et retrancher sans doute au nombre des subsides :
C’est alors qu’on verroit l’habitant des hameaux
Reprendre avec gaité ses soins & ses travaux ;
L’instinct du laboureur deviendroit du génie ;
Il couvriroit de biens le sol de sa patrie ;
Et le peuple des champs plus riche, & plus nombreux,
Rendroit heureux son prince, en s’avouant heureux.
Hélas ! L’homme est forcé de se donner des chaînes ;
C’est un poids qu’il ajoute au fardeau de ses peines ;
Il est né pour souffrir ; mais peut-il aujourd’hui
Résister aux malheurs prêts à fondre sur lui ?
Le soleil retiré vers l’humide Amalthée,
Jette un dernier regard sur la terre attristée ;
Tout est changé pour nous ; ce théatre inconstant
Où l’homme passe un jour, & jouit un instant.