Page:Saint-Lambert - Les Saisons, 1769.djvu/110

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Cette terre autrefois si belle & si fertile,
Devient en ce moment, triste, pauvre & stérile ;
Je ne les verrai plus, ces émaux éclatants,
La pompe de l’été, les graces du printems,
Ces nuances du verd, des bois & des prairies,
Le pourpre des raisins, l’or des moissons mûries.
Les arbres ont perdu leurs derniers ornements ;
A travers leurs rameaux j’entends des sifflements ;
Doux zéphir, qui le soir caroissois la verdure
Quel son, quel triste bruit succède à ton murmure !
Les vents courbent les pins, les ormes, les cyprès ;
Ils semblent dans leur course entraîner les forêts ;
Les arbres ébranlés de leurs cimes panchées
Font voler sur les champs les feuilles desséchées.
Les rayons du soleil, sans force & sans chaleur,
Ne percent plus des airs la sombre profondeur ;
Eole étend sur nous la nuit & les nuages ;
L’ombre succède à l’ombre, & l’orage aux orages ;
L’homme a perdu sa joie, & son activité ;
Les oiseaux sont sans voix, les troupeaux sans gaité ;
Ils ne reçoivent plus du dieu de la lumière
Ce feu qui fait sentir & vivre la matière.
La campagne épuisée a livré ses présents,
Et n’a rien à promettre à mes goûts, à mes sens.
Dans ces jardins flêtris, dans ces bois sans verdure,
Je sens à mes besoins échapper la nature.
Ce concert monotône & des eaux & des vents
Suspend & ma pensée, & tous mes sentiments ;
Sur elle-même enfin mon ame se replie,
Et tombe par degrés dans la mélancolie ;
Dans ces champs que l’automne a changés en déserts,
Dans ces près sans troupeaux, dans ces bois sans concerts,
Je viens me rappeller des pertes plus sensibles ;
Je crois me retrouver à ces moments horribles,
Où j’ai vu mes amis que la faulx du trépas
Moissonnoit à mes yeux, ou frappoit dans mes bras.