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Page:Saint-Lambert - Les Saisons, 1769.djvu/132

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Jetté par la nature à travers les orages,
Sur des bords ennemis, dans des déserts sauvages,
Abandonné sans force au choc des éléments,
Le martyr de ses sens, & de ses sentiments,
De chagrins en chagrins conduit par l’espérance,
Il passe dans les pleurs son moment d’existence,
Et se traîne accablé sous le poids de ses maux,
Sur un monde en ruine à travers les tombeaux.
O pere des humains, ô Dieu de la nature,
Peut-être ces hivers, les ombres, la froidure,
Le calme triste & sombre ou le trouble des airs,
Cette uniformité, ce deuil de l’univers,
M’ont trop fait oublier les bontés de mon maître,
Et les plaisirs sans nombre attachés à mon être.
Talents, amour des arts, agréables instincts,
Palais, où le bon goût préside à nos festins,
Cercles brillants & gais où la raison s’éclaire,
Où l’esprit s’embellit par le desir de plaire,
Doux besoin du plaisir, aimable volupté,
Sentiments animés par la société,
Tendres liens des cœurs, amitié sainte & pure,
Vous expiez assez les torts de la nature.
Aimons, vivons ensemble, adorons notre auteur.
Il a mis dans nos seins le génie inventeur,
Et de ce noble instinct l’activité féconde,
Asservit à nos vœux les airs, la terre & l’onde :
Mais ce génie enfin devoit être excité ;
L’homme sans ses besoins n’eût jamais inventé.
Tourmenté par les vents, le froid, & les orages,
Un jour il assembla des joncs & des feuillages ;
Les chênes recourbés s’unirent en berceaux,
Et la hutte parut sous son toît de roseaux.
Pour calmer de la faim la fureur effrénée,
Souvent il arrachoit une herbe empoisonnée,
Et pour ne craindre plus la faim ou les poisons,
Il planta les jardins, fit naître les moissons.