Page:Saint-Lambert - Les Saisons, 1769.djvu/133

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L’homme avant ces deux arts, errant à l’aventure,
Alloit aux animaux disputer la pâture ;
Le lion furieux & le tigre affamé,
Triomphoient aisément d’un rival désarmé ;
Souvent il échappoit, mais couvert de morsures,
Il portoit en tremblant ses mains sur ses blessures ;
Il fuyoit au hazard ; ses cris longs & perçants
Remplissoient des forêts les antres gémissants ;
Les insectes de l’air, la ronce ensanglantée,
Aigrissoient les douleurs de la plaie irritée,
Et bientôt épuisé, rampant avec effort,
D’un son de voix horrible il invoquoit la mort.
On vit alors la fronde en cercle balancée ;
La pierre inévitable aux monstres fut lancée ;
La massue écrasa les tyrans des forêts,
Et l’arc en s’étendant les perça de ses traits.
La rigueur des hivers, à l’homme encor sauvage,
Du feu tombé des cieux apprit à faire usage ;
Sans doute il vit un jour des cyprès embrasés,
La foudre serpentoit sur leurs rameaux brisés,
Et peut-être il craignit que le feu du tonnerre,
Augmenté par les vents, ne consumât la terre :
Il le vit dans son cours s’étendre & s’arrêter,
Il apprit à l’éteindre, à le ressusciter,
Il asservit enfin l’élément indocile,
Qui devint dans ses mains un instrument utile.
Aux rives de l’Alphée, aux antres de Lemnos,
L’homme en ruisseaux ardents fit couler les métaux.
De nouveaux instruments augmentoient sa puissance,
Ajoutoient à sa force, à son intelligence ;
Bientôt l’acier tranchant sous ses coups redoublés,
Fait tomber du Tmolus les ormes ébranlés ;
Les marbres divisés ont crié sous la scie ;
La bêche ouvre des champs la surface endurcie,
Et le coursier d’Enna regrettant ses forêts,
Traîne le soc rampant à travers les guérets.
L’homme jouit alors des trésors de la terre ;
Il ne se borna plus au triste nécessaire,