Aller au contenu

Page:Saint-Lambert - Les Saisons, 1769.djvu/134

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Il se trouva des goûts & des besoins nouveaux ;
Il fallut rapprocher les arts, & les travaux ;
Des bords de l’océan, des forêts enflammées,
Sortirent les cités par les arts animées,
Et la voile en cédant au mouvement des airs,
Emporta le vaisseau qui sillonna les mers ;
L’homme bravant l’orage & les flots infideles,
Alla chercher au loin des voluptés nouvelles.
Jadis dans les forêts les sauvages humains
Souvent l’un contre l’autre avoient armé leurs mains ;
Sur le sable rougi du sang de l’innocence,
Le sang étoit encor versé par la vengeance ;
La crainte les soumit au frein sacré des loix ;
On arma de faisceaux des consuls ou des rois ;
Leur pouvoir eut long-temps des bornes salutaires ;
Du bonheur des humains sages dépositaires,
Monarques bienfaisants, citoyens couronnés,
Ils inspiroient des mœurs aux peuples fortunés.
L’homme eut alors la paix, les vertus, l’abondance ;
Mais à ses mœurs encor il manquoit l’élégance,
Il manquoit les beaux arts. Le plus vif des désirs,
Ce besoin qui conduit au plus doux des plaisirs,
L’amour donna l’essor aux talents, au génie ;
Il mesura le chant, fit naître l’harmonie ;
L’homme à peine arraché des antres & des bois,
Au son des instruments sçut marier sa voix ;
L’art donné par l’amour servit à l’amour même,
Le chant des premiers airs exprima, je vous aime.
L’unisson de la voix, celui des instruments,
Portoit dans tous les nerfs de doux frémissements ;
Remué par ces sons, s’agitant en cadence,
L’homme fut étonné de connoître la danse ;
Elle animoit ses jeux, augmentoit sa gaieté,
Et disposoit encor l’ame à la volupté.
Mais il est d’autres arts que l’amour a fait naître :
Tendre Dibutadis, c’est lui qui fut ton maître,
Et dans ta main tremblante il plaça le crayon,
Qui traça sur un mur l’ombre de Polémon.