Page:Saint-Lambert - Les Saisons, 1769.djvu/143

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Et dans un vaste enclos, préparé pour la danse.
Ils viennent étaler leur rustique élégance ;
Leurs pas sont ralentis, ou pressés au hazard ;
Ils suivent sans cadence un instrument sans art,
Et tous sans se piquer de grace ou de justesse,
Signalent à l’envi leur force & leur souplesse.
L’un chante un vaudeville ou plaisant ou malin,
Dont la troupe en riant répète le refrein ;
L’autre célèbre en vers la beauté du village ;
La muse & la bergère ont le même langage.
Dolon cueille un baiser sur les lèvres d’Iris,
Le baiser est donné, mais il paroît surpris ;
Au larcin de l’amant les témoins applaudissent,
Et de leurs longs éclats les voûtes rétentissent.
Ah ! Le luxe & les arts, & les frivolités,
Rendent-ils plus heureux l’habitant des cités.
Tandis qu’au sombre hiver la nature est en proie,
Il regne aux champs encor une innocente joie.
Le bonheur de la vie est dans l’emploi du tems ;
Il faut des soins légers & des travaux constants,
Plus agir que penser, plus sentir que connoître ;
Tel est l’état heureux du citoyen champêtre.
O peuples des hameaux, que votre sort est doux !
Peut-être un seul mortel est plus heureux que vous.
Riche pour l’indigent, & pauvre pour lui-même,
Il répand le bonheur sur des vassaux qu’il aime ;
Ses trésors sont le prix des travaux assidus ;
Son estime & son cœur sont le prix des vertus ;
C’est Philémon, Baucis, un bon père, un bon maître
Qu’il admet comme amis à sa table champêtre.
Le glaive de Thémis n’a point armé ses mains ;
Sans la pourpre & les lys il juge les humains ;
D’un canton qui l’adore il est souvent l’arbitre,
Le bon sens est son code, & la vertu son titre.
Auprès de ses foyers, asyles de la paix,
Aux rivaux irrités il dicte ses arrêts ;
Il les mène à sa table oublier leur querelle,
Et Bacchus scelle entre eux une paix éternelle.