Page:Saint-Lambert - Les Saisons, 1769.djvu/33

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Ah ! Ne leur portez plus la mort ou l’esclavage ;
Policez le barbare, éclairez le sauvage,
Et que l’heureux lien des besoins mutuels
D’un hémisphère à l’autre unisse les mortels.
Moi tranquille & content, sous un dais de verdure
Je jouis des beaux jours, & chante la nature.
Fleurs naissez sous mes yeux, dans ces vastes guérets,
Couronnez les vergers, égayez les forêts ;
Réjouissez les sens, & parez la jeunesse,
En donnant la beauté, promettez la richesse ;
Que l’émail des côteaux, des vallons, des jardins
Annonce au laboureur, ou les fruits ou les grains.
Champs azurés des airs, dans vos plaines liquides
Recevez les vents frais, & les vapeurs humides :
Tempère, astre du jour, le feu de tes raïons,
Ne brûle pas ces bords que tu rendis féconds ;
Sans dissiper leurs eaux échauffe les nuages,
Et que la douce ondée arrose nos rivages.
Ah ! Doris, c’est alors qu’il faut voir le printems !
Hâtons-nous, quittons tout ; les vieillards, les enfants,
Pour voir tomber des cieux la vapeur printaniere
Sont déja rassemblés au seuil de leur chaumiere.
Hélas ! Ils ont tremblé que l’excès des chaleurs
Ne consumât les fruits desséchés sous les fleurs,
Ne flétrit dans les prés l’herbe qui vient de naître,
Et ne retînt caché l’épi qui va paroître.
Mais enfin, ils ont vu le disque du soleil
Sortir moins radieux de l’orient vermeil ;
Il étoit ombragé d’une vapeur légère
Qui sans troubler les airs a voilé l’hémisphère.
Le feuillage du saule est à peine agité,
Les êtres animés conservent leur gaieté ;
Ce nuage qui monte & s’étend sur nos têtes,
Ne leur fait point prévoir la foudre & les tempêtes.
Les troupeaux sans effroi s’écartent des hameaux.
Les oiseaux voltigeants de rameaux en rameaux,
D’une huile impénétrable humectant leur plumage,
A peine ont suspendu leur vol & leur ramage.