Page:Saint-Lambert - Les Saisons, 1769.djvu/36

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Et nous, dans nos enclos stérilement ornés,
Nous la bornons sans cesse à nos desseins bornés ;
Là j’admire un moment l’ordre & la symétrie,
Et ce plaisir d’un jour est l’ennui de la vie.
Oh ! que j’aime bien mieux ce modeste jardin
Où l’art en se cachant fécondoit le terrain,
Où, parmi tous les biens, le luxe & la parure
Sembloient un don de plus, un jeu de la nature.
Deux tertres opposés y formoient un vallon
Où mûrissoit la figue à côté du melon ;
De leurs humbles sommets sortoit l’eau pure & vive
Qui baignoit les jardins, conduite & non captive ;
Elle alloit en ruisseau rafraîchir le verger,
Et s’étendre en bassin au fond du potager.
Là, sur des arbres nains, la pomme & la groseille
Couronnoient la laitue, ou tomboient sur l’oseille ;
La pêche & le muscat tapissoient les côteaux ;
Les regards du soleil, les abris & les eaux
Fécondoient à l’envi ce lieu simple & champêtre ;
Sa richesse étonnoit l’œil même de son maître ;
Raymond y recevoit le tribut des cités ;
Et ses mets abondants n’étoient point achetés.
Mais le fils de Raymond, Lindor aime Glicère ;
Lindor séme de fleurs les jardins de son père ;
Il élève en lambris la rose & le mugu& :
On voit sur les gazons la jonquille & l’œillet.
Il va porter des fleurs à la beauté qu’il aime ;
Bientôt chez son amant elle en cueille elle-même ;
Il donne à son jardin mille ornements nouveaux.
Il fait monter, tomber, & serpenter les eaux ;
Il oppose un verd sombre à la tendre verdure ;
Lindor plaît à Glicère ; un baiser l’en assure,
Tous deux craignent alors des témoins indiscrets ;
Il fallut des berceaux, des asyles secrets ;
Là, des arbres voisins unirent leur branchage ;
Ici, le pampre verd étendit son feuillage :
Une isle s’éleva du centre du bassin,
Un bosqu& d’arbrisseaux environna son sein ;