Page:Saint-Lambert - Les Saisons, 1769.djvu/43

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Avide, impatient, il presse, il sollicite,
D’un moment de rigueur, il s’indigne, il s’irrite ;
Le délai le consume, & l’instant des plaisirs
N’est pour lui qu’un passage à de nouveaux désirs.
Le cygne en déployant ses ailes argentées,
Et pressant de ses pieds les ondes agitées,
Aux yeux de son amante étalant sa beauté,
Navigue avec orgueil, flotte avec majesté.
Voyez sous ces rameaux ces tendres tourterelles
Nourrir de cent baisers leurs ardeurs mutuelles,
Et par des sons touchants, un murmure enflammé,
Exhaler le plaisir d’aimer & d’être aimé.
Se voir est leur bonheur, & l’amour est leur vie.
Des chants de son amant Philomele ravie,
L’écoute, s’attendrit, & cède à ses désirs ;
Il a chanté pour plaire, il chante ses plaisirs.
Dans l’ombre de la nuit sa voix harmonieuse
Fait rétentir des bois la voûte ténébreuse ;
Tout l’écoute, & tout aime, & chaque être amoureux
Croit entendre chanter le bonheur de ses feux.
Sur la feuille naissante un insecte invisible
Poursuit avec ardeur un être imperceptible ;
Les atomes vivants s’unissent dans les airs,
Tandis que la baleine & les monstres des mers
Bondissent pesamment sous leurs voûtes profondes,
Et de longs mouvements troublent le sein des ondes.
Tout s’enflamme & s’unit, & cherche à s’enflammer.
Tout désire & jouit ; l’homme seul sçait aimer.
S’il est souvent des sens l’esclave involontaire,
Aimer est à son cœur un plaisir nécessaire :
Il veut jouir d’un cœur, il veut remplir le sien.
Plaisir du sentiment, cher & tendre lien,
Vous êtes des mortels la volupté suprême,
Et le plus grand bienfait de ce Dieu qui nous aime.
L’amour dans ces oiseaux meurt avec le printems ;
Chez l’homme plus heureux, il vit dans tous les tems.
Notre ame en est sans cesse amusée ou ravie ;
Il embellit l’aurore & le soir de la vie.