Page:Saint-Lambert - Les Saisons, 1769.djvu/44

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D’un sentiment confus dès l’enfance agité,
L’homme a connu l’amour même avant la beauté.
Du vieillard, la beauté reçoit encor l’hommage,
Il vient, en rougissant, vanter son esclavage,
Et des ans auprès d’elle oubliant le fardeau,
Semer de quelques fleurs les bords de son tombeau.
Mais c’est dans les beaux jours de l’ardente jeunesse
Que l’amour fait sentir sa fougue & son ivresse,
Sur-tout dans ces moments où les feux du printems
Secondent ceux de l’âge & la force des sens ;
Et lorsque par ses chants, ses cris ou son murmure,
Tout annonce le Dieu qu’attendoit la nature ;
Le besoin du plaisir est alors un tourment ;
Les sens n’ont qu’un objet, le cœur qu’un sentiment ;
Des charmes les plus doux l’image retracée,
Revient à chaque instant occuper la pensée,
Et par ces tableaux vrais les sens plus irrités
Nous ramenent sans cesse aux mêmes voluptés.
Amour, charmant amour, la campagne est ton temple,
Là, les feux d’un ciel pur, le penchant & l’exemple,
Le doux esprit des fleurs, le souffle du zéphyr,
Les concerts amoureux, tout dispose au plaisir ;
Tout le chante, le sent, l’inspire & le partage.
Les vergers, les hameaux, le chaume & le treillage,
Les bosquets détournés, les vallons ténébreux,
Tout devient un asyle où l’amour est heureux.
Ici, dans leur enfance, au fond de la feuillée,
Et sur la mousse fraîche & mollement enflée,
En se baisant sans cesse, Hylas & Licoris
Attendent que l’amour éclaire leurs esprits.
L’abeille au fond des fleurs goûte moins de délices
A pomper le nectar qu’enferment leurs calices,
Et dans son vol léger, l’amoureux papillon
Donne moins de baisers aux roses du canton.
Là, dans un bois fleuri, Chloë timide & tendre,
Au seul plaisir d’aimer prétend borner Sylvandre.