Page:Saint-Lambert - Les Saisons, 1769.djvu/62

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Et des eaux de la nue une goutte insensible,
Renferme un peuple atôme, une foule invisible.
Comme un flot disparoît sous le flot qui le suit,
Un être est remplacé par l’être qu’il produit.
Ils naissent, Dieu puissant, lorsque ta voix féconde
Les appelle à leur tour sur la scène du monde :
Dévorés l’un par l’autre, ou détruits par le tems,
Ils ont à tes desseins servi quelques instants.
Mais si l’été brûlant a prodigué la vie
A tant d’êtres nouveaux dont la terre est remplie,
Il augmente, il acheve, il mûrit les trésors
Qu’un air plus tempéré fit naître sur nos bords.
Quel aspect imposant il donne à la nature !
Il ne la flétrit pas, il change sa parure ;
Sans doute, elle a perdu de sa variété ;
Mais simple avec grandeur, belle avec majesté,
Elle a pour ornemens sa superbe opulence ;
Nos biens sont sa beauté, sa grace est l’abondance.
Déja l’œil dans nos champs compte moins de couleurs,
L’été dans le parterre a rélégué les fleurs.
Je n’irai plus chercher au bord de la prairie
Ces émaux, ces détails, que le printems varie.
Je porte mes regards sur d’immenses guérets ;
Je parcours d’un coup d’œil, les champs & les forêts,
Un océan de bleds, une mer de verdure ;
Et ce n’est plus qu’en grand qu’il faut voir la nature.
Loin des riants jardins, & des plants cultivés,
J’irai sur l’Apennin, sur ces monts élevés,
D’où j’ai vu d’autres monts formant leur vaste chaîne,
De degrés en degrés s’abaisser sur la plaine.
Un fleuve y serpentoit, & ses flots divisés
Baignoient, dans cent canaux, les champs fertilisés.
Je le voyois briller à travers les campagnes,
Se noircir quelquefois de l’ombre des montagnes,
S’approcher, s’éloigner, & d’un cours incertain
Se perdre & s’enfoncer dans un sombre lointain.
Mes regards étonnés de ces riches spectacles,
Commandoient à l’espace, & voloient sans obstacles