Page:Saint-Lambert - Les Saisons, 1769.djvu/65

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Il prend place au conseil près du trône des rois,
Sait penser, obéir, suivre & donner des loix.
Hélas ! Le malheureux qui rend nos champs fertiles,
Est immolé sans cesse aux habitants des villes.
Le luxe honore ici les talents superflus,
On dédaigne son art, son état, ses vertus.
O mon concitoyen, mon compagnon, mon frère !
O toi, par qui fleurit l’art le plus nécessaire ;
Ami de l’innocence, honnête agriculteur,
Qu’il est facile & doux de faire ton bonheur !
Quand il n’a point à craindre une injuste puissance,
Un tyran subalterne, ou l’avare finance ;
Quand la loi le protège, il est heureux sans frais,
Si près de la nature, il sent tous ses bienfaits.
Le luxe ne vient point lui montrer ses misères,
Et le faire rougir de l’état de ses pères ;
La compagne des mœurs, la médiocrité,
La paix & le travail conservent sa gaité.
L’ordre seul des saisons change ses espérances,
Ses desirs, ses projets naissent des circonstances ;
Il peut aimer demain ce qu’il aime aujourd’hui,
Et la paix de son cœur n’est jamais de l’ennui.
Vous le rendez heureux, volupté douce & pure,
Attachée à l’hymen, aux nœuds de la nature ;
L’épouse qu’il choisit partage ses travaux,
De l’ami de son cœur elle adoucit les maux.
Ses enfants sont sa joie, ils seront sa richesse ;
Il verra leurs enfants entourer sa vieillesse ;
Et sur son front ridé, rappellant la gaité,
Prêter encor un charme à sa caducité.
Lorsque l’astre du jour a fini sa carrière,
Qu’il revient avec joie à son humble chaumière !
Qu’il trouve de saveur aux mets simples & sains,
Du repas que sa fille apprêta de ses mains !
La paix, la complaisance & le doux badinage,
Aimables compagnons de son heureux ménage,
Entourent avec lui la table du festin :
Reveillé par l’amour, inspiré par le vin.