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Page:Saint-Lambert - Les Saisons, 1769.djvu/69

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La groseille pendante en grappes d’incarnat,
S’y présente à mes yeux, charmés de son éclat ;
Ces rubis émaillés qu’arrondit la nature
Sur ces arbres touffus sortent de la verdure :
La fraîcheur de ces fruits, la douce humidité,
Tempèrent par degrés mon sang trop agité.
Là, le bélier docile à la voix qui le guide,
Se plonge en frissonnant dans le crystal liquide :
Au signal du berger le dogue menaçant,
Ramène sur le bord le troupeau frémissant.
Cependant le fermier, les filles du village,
En riant, en chantant, s’assemblent sous l’ombrage.
Le grouppe en demi-cercle assis sur le gazon,
Bientôt à la brebis va ravir sa toison :
Elle arrive auprès d’eux, & semble être allarmée,
A l’aspect des ciseaux dont la troupe est armée.
La bergère en flattant l’animal simple & doux,
Dissipe sa frayeur, le prend sur ses genoux ;
Et la brebis rendue à sa douceur timide,
Livre sans murmurer sa laine encor humide.
On médit, en riant, des seigneurs du canton,
De l’histoire du jour on passe aux fils-Aimon.
Les enfants du fermier folâtrent dans la plaine ;
L’un monte le bélier délivré de sa laine ;
L’autre veut effrayer, caché dans les roseaux,
Ses jeunes compagnons qui jouoient dans les eaux ;
Leurs cris, la cornemuse & le chant des bergères,
Vont apprendre leur joie aux échos solitaires.
Un jour, sous les berceaux d’un verger écarté,
Contemplant ces pasteurs, partageant leur gaité,
J’abordai le fermier qui de l’ombre d’un hêtre,
Observoit, comme moi, cette scène champêtre.
Qu’il est dans votre état d’agréables moments,
Lui dis-je ; & tous nos arts, nos vains amusements
Valent-ils ces travaux que la joie accompagne,
Et la simplicité des jeux de la campagne ?
Non, dit-il, j’ai connu vos plaisirs si vantés,
Et vos ennuis réels, & vos fausses gaités ;