Page:Saint-Lambert - Les Saisons, 1769.djvu/70

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Je leur ai comparé les plaisirs du village,
J’y vis, je suis content, & bénis mon partage ;
Jeune, & né d’un sang noble, à la guerre entraîné,
Je n’y démentis pas le sang dont j’étois né :
Mais mes fonds dissipés, mes fermes consumées,
Par ce luxe sans frein qui corrompt nos armées,
Quand la paix couronna les succès de mon roi,
Je me vis sans fortune ainsi que sans emploi.
Le besoin n’avilit que les cœurs sans courage :
Moi, plein du sentiment, des forces de mon âge,
Des grands, des importants redoutant les hauteurs,
Dédaignant leurs secours & respectant les mœurs,
Détestant ces larcins, ces parts dans les subsides,
Qu’arrachent aux traitants des intriguants avides ;
Honteux d’un vil repos, pénétré de mépris
Pour ces nobles sans nom qui peuplent Sybaris ;
J’allai dans un château, retraite vénérée,
D’un guerrier vertueux l’honneur de la contrée :
Je l’abordai sans crainte, & parlant sans détour,
J’eus des fermiers, lui dis-je, & viens l’être à mon tour ;
Je viens redemander au travail, à la terre
Mes biens qu’ont dissipés ma folie & la guerre.
Je vous demande à vivre & veux le mériter :
Si parmi vos fermiers vous daignez me compter,
Peut-être vos bienfaits pourront vous être utiles,
Et vos champs par mes soins deviendront plus fertiles.
Le vieillard étonné me baigna de ses pleurs,
M’embrassa, m’applaudit, mit fin à mes malheurs.
Et depuis ce moment, la joie & l’abondance
Ont habité ma ferme, & sont ma récompense.
Ici coulent en paix mes jours indépendants :
J’élève avec honneur mes robustes enfants ;
Je sçais leur inspirer le mépris des richesses,
L’orgueil qui sied au pauvre, & l’horreur des bassesses ;
Je transmets dans leurs cœurs mon zèle pour nos rois,
De Saxe & de Cogny je leur dis les exploits.
Aimé de mes voisins, l’amitié véritable
Allume dans nos cœurs son feu pur & durable ;