Page:Saint-Lambert - Les Saisons, 1769.djvu/73

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Cherchoit par des baisers à tromper leurs douleurs ;
Aux pleurs de son enfant elle mêloit ses pleurs.
Elle l’emporte enfin dans un prochain bocage,
Et lui donne à sucer un fruit âpre & sauvage :
Le fruit est agréable à l’enfant affamé ;
Il sourit à sa mere & semble ranimé.
Elle entend du piqueur la voix triste & cruelle,
Et retourne au travail où ce tyran l’appelle.
Mais peut-elle un moment rester loin de son fils ?
Elle croit tout-à-coup en entendre les cris.
Elle court au buisson qui lui servoit d’asyle,
Elle l’y trouve hélas ! Pâle, froid, immobile,
Il n’est plus. Elle jette un cri long & perçant,
Prend son fils, le soulève, & tombe en l’embrassant.
Le désespoir, la mort sont peints sur son visage,
De sa voix quelque tems elle a perdu l’usage,
Et sa douleur s’exhale en sanglots continus,
En sons foibles, profonds, & non interrompus.
Sa bouche est entr’ouverte, & sa tête est panchée ;
Sur le corps de son fils sa vue est attachée ;
Mais levant vers le ciel & les mains & les yeux,
Et lançant des regards menaçants, furieux :
C’est vous, tyrans, c’est vous ; c’est la faim, la misère ;
C’est ce travail funeste.... ô ciel ! Venge une mère.
Elle retombe alors sans voix, sans sentiment,
Et le corps agité par un long tremblement ;
Le peuple l’environne & l’emporte au village,
Où le force à rentrer la crainte d’un orage.
On voit à l’horison de deux points opposés,
Des nuages monter dans les airs embrasés ;
On les voit s’épaissir, s’élever & s’étendre ;
D’un tonnerre éloigné le bruit s’est fait entendre :
Les flots en ont frémi, l’air en est ébranlé,
Et le long du vallon le feuillage a tremblé.
Les monts ont prolongé le lugubre murmure,
Dont le son lent & sourd attriste la nature.
Il succède à ce bruit un calme plein d’horreur,
Et la terre en silence attend dans la terreur.