Page:Saint-Lambert - Les Saisons, 1769.djvu/79

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Troupeaux que j’ai nourris ! Recevez mes adieux ;
Ma fille, loin de vous, me fermera les yeux.
A ces mots, en pleurant, le vieillard se retire ;
Damon le suit des yeux, les détourne, soupire,
Se trouve, en ce moment, le dernier des humains,
Et le visage en pleurs appuyé sur ses mains,
Immobile, abattu, dans un calme terrible,
Fatigué de sentir, il paroît insensible.
Mais comment tout-à-coup sort-il de sa langueur ?
Quel nouveau sentiment est entré dans son cœur ?
Qui précipite ainsi sa démarche rapide ?
Pourquoi, dans quel dessein franchir ce mont aride,
Et descendre au vallon, où pendant les beaux jours
Lucas paît ses brebis & chante ses amours ?
Lucas qui l’apperçoit s’épouvante à sa vue ;
Mais il voit sur son front la gaité répandue :
Damon lui prend la main, & Lucas étonné
Loin du vallon sauvage est d’abord entraîné.
Les voilà dans les champs que Polémon moissonne ;
Lucas est interdit & Polémon frissonne.
Lise qui voit de loin & Damon & Lucas,
En suivant son travail cache son embarras.
Sa mère dans ses mains sent trembler sa faucille,
Et se place aussi-tôt à côté de sa fille.
Mais Damon les aborde : ô mon cher Polémon,
Voyez dans ce berger le rival de Damon.
Lise brûle pour lui de l’amour le plus tendre ;
Il aime, il est aimé, qu’il soit donc votre gendre.
Lise, un berger sans bien n’est pas digne de vous :
Que Lucas soit donc riche, & qu’il soit votre époux.
Voyez sur ce côteau cette ferme nouvelle,
Cet herbage fécond qui s’étend autour d’elle,
Ces vergers, dont les fruits l’enrichiront un jour,
Et ce rang de noyers qui croissent à l’entour ;
Je les donne à Lucas. ô vertueuse mère !
O sage Polémon ! Si Lise vous est chère,
Il faut que dans deux jours ces amants soient unis ;
Qu’après vous mes fermiers, aujourd’hui mes amis,