Page:Saint-Lambert - Les Saisons, 1775.djvu/285

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plus gai : je le dis à la fermiere. Monsieur, me dit-elle, ce sont les vieillards qu’on néglige qui ont de l’humeur ; dès qu’on veut bien les compter encore pour quelque chose, ils en sçavent gré & ils font doux. Je vis qu’on exhortoit le bon-homme à boire ; j’en fus un peu étonné. Monsieur, me dit la fermiere, je crois que dans le cours de la vie il faut s’occuper du soin de retarder la vieillesse, mais qu’il faut se borner dans la vieillesse à rappeler le sentiment de la vie. Ces réponses me surprenoient ; je ne doutai plus que la bibliothèque ne fût à l’usage de mes hôtes, & je leur parlai de leur livres. Ils me répondirent avec esprit. Je me récriai sur l’étonnement que me causoient leurs lumières & sur-tout celles de Sara. Quoi ! disois-je, une jeune femme ! à la campagne !... Oh ! vous ne connoissez pas Sara, me dit le vieillard qui commençoit à être un peu ivre ; ô le divin cœur, le divin cœur ! Si vous sçaviez ce qu’elle a quitté pour nous ! oh ! si je pouvois me lever j’irois lui baiser les pieds. Sara me parut craindre l’indiscrétion de son beau-pere, elle étoit embarrassée, elle rougissoit. Philips (c’étoit le nom de son mari) pria instamment le vieillard de ne pas révéler un secret qu’il avoit