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eux comme à moi ; qu’ils en jouissent ; mais ni eux ni moi nous ne vous avilirons en nous nourrissant du pain de l’aumône. Mon pere ne tenta point de changer la maniere de penser de ce jeune homme ; mais il le tira de la livrée pour lui donner le soin de sa bibliothèque ; il lui donna aussi une sorte d’inspection sur ses fermiers. Dans ces deux emplois, Philips put recevoir, sans en être humilié, le bien que mon pere avoit envie de lui faire.

La bibliothèque étoit le lieu de la maison où j’allois le plus, & j’y trouvois souvent Philips. Je ne tardai pas à me plaindre lorsque je ne l’y trouvois pas toujours. Il ne m’y voyoit jamais entrer sans une émotion dont je m’apperçus & qui porta dans mon cœur ces sentimens qui me sont aujourd’hui si chers & auxquels je dois le bonheur de ma vie. J’étois trop éclairée pour ne pas sentir les conséquences de ma passion ; mais bientôt je ne fis usage de mes lumières que pour la servir & non pour la combattre. Je craignois & respectois l’opinion des hommes ; mais, disois-je, ils n’ont pas attaché la honte aux sentiments : je me permis les miens. Mon père devoit être plus sévère ; mais il devoit tout ignorer. Je