Page:Saint-Lambert - Les Saisons, 1775.djvu/297

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me cachai même à l’objet de ma passion qui ne me découvrit pas la sienne, & qui me la laissa deviner. J’avois l’ame fière, élevée & sensible : ces caractères-là ne sçavent point combattre l’amour ; mais ils résistent à ses foiblesses. Philips d’ailleurs ne sçavoit qu’aimer, & l’excès de l’amour impose autant de respect que l’inégalité des rangs.

Je passai deux ans heureuse par le plaisir d’aimer & par celui d’être aimée, & moins humiliée de mon amour que fière de ne m’y livrer qu’avec modération. J’étois heureuse ; mais je perdis mon père ; & je ne sçais si je lui aurois survécu sans ce sentiment qui console de tout & dont j’étois remplie. Sara dans cet endroit fondit en larmes & resta quelque-tems sans parler.

C’est elle-même, me disois-je alors, c’est elle, je n’en puis plus douter : j’étois pénétré d’attendrissement ; j’étois prêt à me découvrir à Sara ; mais je fus arrêté par la crainte de lui ôter de la confiance & de perdre une partie de son histoire. Elle la reprit ainsi, lorsque ses larmes eurent cessé de couler.

Je vis les regrets de Philips égaler les miens