Page:Saint-Lambert - Les Saisons, 1775.djvu/337

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pagnons commencèrent à se dévorer, au moment où le disque du soleil étoit encore à moitié dans le ciel & dans la mer, nous eûmes un peu d’espérance ; il s’éleva une brume légère qui devoit former des nuages & nous donner du vent, mais la brume se dissipa & le ciel conserva sa tranquille & funeste sérénité.

L’espérance avoit d’abord ranimé les noirs & les blancs ; on avoit vu pendant un moment le vaisseau dans le tumulte d’une joie désordonnée. Mais lorsque la brume fut retombée, il régna parmi nous un morne désespoir ; le découragement avoit saisi nos tyrans mêmes, ils n’avoient plus assez de force pour avoir des soins, ils nous observoient moins, ils nous gênoient peu, & le soir, au moment de la retraite, on me laissa sur le tillac avec Ellaroé. Nous y restions seuls, & dès qu’elle s’en apperçut, elle me pressa dans ses bras, je la pressai dans les miens ; ses yeux n’avoient jamais eu une expression si vive & si tendre. Je n’avois point encore éprouvé auprès d’elle l’ardeur, le trouble, les palpitations que j’éprouvois en ce moment ; nous restâmes long-tems sans nous parler & serrés dans les bras l’un de l’autre. Oh ! toi que j’avois choisie pour être ma