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à l’appel de l’observatoire ; la lune avoit poussé des gémissemens comme si elle eût été en travail ; la chevelure de Bérénice avoit d’abord paru poudrée à blanc , et ensuite , par un coup de vent, était devenue noire comme un crêpe. Tous les astres à-la-fois paroissoient donner des signes de tristesse. Ce n’étoit plus ce concert harmonieux que les sphères célestes firent entendre autrefois à Scipion chez le roi Masinissa ; elles ne rendoient que des sons lugubres comme les faux bourdons des cathédrales ; ou discordans , comme les hurlemens de plusieurs animaux. Enfin, quelques personnes même crurent voir dans la région des étoiles , comme de grands crocodiles qui s’agitoient avec des contorsions etfroyables.
Les savans, il est vrai, ne voyoient là aucuns prodiges. D’un trait de plume ils expliquoient tous ces phénomènes , ou ils les nioient quand ils ne pouvoient pas les expliquer; aussi paroissoient-ils fort tranquilles. Mais le peuple , qui n’a pas comme eux la clef de la nature, se mouroit de frayeur à la vue de ces merveilles; il n’y appercevoit que les plus sinistres présages. Il se lamentoit , erroit ça et là , et couroit par-tout où son désespoir et sa peur l’entrainoient.

Oui, les preux habitans de la cité romaine,
Pour eux. pour leurs foyers, n’étoient pas plus en peine,
Quand , menacés des coups d’un ennemi puissant,
La basse-cour jeûnoit; et qu’un prêtre innocent,
Eprouvant les poulets aux yeux d’un peuple pie ,
Déclaroit tristement qu’ils avoient . . . . . .