Page:Saint-Saëns - Portraits et Souvenirs, Société d’édition artistique.djvu/100

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ordonnance des textes latins qui forment la trame de Mors et Vita.

Ce fut une grande hardiesse d’écrire une œuvre latine et catholique pour la protestante Angleterre. L’accueil, réservé d’abord, chaleureux ensuite, fait à cette œuvre sévère (si différente des oratorios de Haendel et de Mendelssohn, ne demandant rien à une concession quelconque, soit à des habitudes prises, soit à des convenances religieuses assurément respectables), est également un honneur pour l’œuvre qui s’est imposée par sa puissance, et pour le public qui s’est laissé convaincre. J’ai vu, par un de ces temps horribles, noirs et pluvieux, dont Londres a la spécialité, l’énorme salle d’Albert Hall remplie jusqu’aux galeries supérieures d’une foule de huit mille personnes, silencieuse et attentive, écoutant dévotement, en suivant des yeux le texte, une exécution colossale de Mors et Vita à laquelle prenaient part un millier d’exécutants, l’orgue gigantesque de la salle, les meilleurs solistes de l’Angleterre. A Paris, on se demande encore ce qu’il faut en penser : on en est à chercher pourquoi le Judex se déroule sur un chant d’amour. L’œuvre peut attendre : quand, de par la marche fatale du temps, dans un lointain avenir, les opéras de Gounod seront entrés pour toujours dans le sanctuaire poudreux des bibliothèques, connus des seuls érudits, la Messe de Sainte-Cécile, Rédemption, Mors et Vita resteront sur la brèche pour apprendre aux générations futures