Page:Saint-Saëns - Portraits et Souvenirs, Société d’édition artistique.djvu/123

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cette mer de sonorités ! la foudre, traversant une nuée orageuse, peut seule en donner l’idée,… et quelle façon de faire chanter le piano ! par quel sortilège ces sons de velours avaient-ils une durée indéfinie qu’ils n’ont pas, qu’ils ne peuvent pas avoir sous les doigts des autres ?

Sa personnalité débordait ; qu’il jouât du Mozart, du Chopin, du Beethoven, ou du Schumann, ce qu’il jouait était toujours du Rubinstein. De cela on ne saurait le louer, ni le blâmer non plus, car il ne pouvait faire autrement : on ne voit pas la lave du volcan, comme l’eau du fleuve, couler docilement entre des digues.

Aujourd’hui, hélas ! la lave est refroidie, les cordes du piano magique ne résonnent plus que dans le monde du souvenir ; mais l’œuvre écrite reste : elle est considérable. Malgré sa vie nomade et ses innombrables concerts, Antoine Rubinstein a été un compositeur d’une rare fécondité, dont les œuvres se comptent par centaines.

Les critiques « dans le mouvement », avec leur procédé commode d’aller droit devant eux sans tenir compte de la réalité des choses, — proclamant, par exemple, que le public s’est tout à fait désintéressé de l’opéra-comique français et que les maîtres modernes qui ont voulu ressusciter ce genre mort y ont échoué, malgré la 1000e de Mignon, la 300e de Manon et la popularité inouïe de Carmen, — ces critiques ont déclaré que Glinka était un compositeur italien et Rubinstein un