Page:Saint-Saëns - Portraits et Souvenirs, Société d’édition artistique.djvu/132

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définition du commerce, pour ironique et plaisante qu’elle soit, est parfaitement juste. L’argent n’est pas le but du commerce. Les hommes ont besoin de beauté, de vérité, de choses utiles : les artistes cherchent pour eux le beau ; les savants, le vrai ; les commerçants, l’utile. L’argent vient ensuite comme une juste rémunération du service rendu, de l’effort et du temps dépensés. Si l’argent entre en première ligne, tout disparaît : l’art devient cabotinage, la science charlatanisme, le commerce escroquerie ; il ne s’agit plus de fournir aux gens ce qui leur est nécessaire, mais de leur en donner l’apparence, pour leur extorquer en retour, à peu de frais, le plus d’argent possible. Il n’y a pas à se le dissimuler : notre civilisation moderne entre dans cette voie. C’est ainsi qu’il y avait autrefois des auberges pour les voyageurs, et qu’il faut maintenant des voyageurs pour les auberges, où ils jouent le rôle du charbon dans les locomotives. On rencontre encore heureusement, par-ci par-là, de bonnes auberges qui vous donnent, pour un prix honnête, tout le confortable que vous êtes en droit d’exiger. Mais cela n’est rien en comparaison des auberges de l’âge d’or, comme il y en avait encore dans ma jeunesse. Je me souviens qu’une fois, en Bretagne, après une journée d’aventures sur terre et sur mer, harassé, exténué, j’arrivai à l’heure de la soupe dans une de ces hôtelleries d’antan. La table d’hôte méritait bien son nom, car l’hôte y présidait lui-même avec sa famille,