Page:Saint-Saëns - Portraits et Souvenirs, Société d’édition artistique.djvu/134

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si bien de la musique trop civilisée, rafraîchissent l’âme comme une brise salée. Le soleil brillait de tout son éclat dans un ciel d’un bleu intense ; de belles vagues écumeuses se succédaient à intervalles réguliers, et le navire, toutes voiles dehors, incliné légèrement sur le côté droit, suivait leur mouvement dans un rythme voluptueux. J’ai connu des heures plus enivrantes, je n’en ai pas connu de plus délicieuses. Pour être véridique, je dois avouer que deux femmes assises sur le plancher, pâles, l’œil fixe et hagard, paraissaient éprouver des impressions bien différentes des miennes.

Nous approchions du terme de cet heureux voyage. Le hautbois se tut ; le capitaine remonta sur le pont. Je m’approchai, et lui demandai ce que je lui devais pour la traversée.

Il recula d’un pas, rougit jusqu’aux yeux.

— Mais… me dit-il d’un air offensé, vous ne me devez rien !…

Et me voilà, à mon tour, rougissant, fort embarrassé de mon personnage, désolé d’avoir blessé cet honnête garçon.

— Au moins, lui dis-je, me permettrez-vous de donner quelque chose à vos hommes ?

— Faites, je ne peux pas vous en empêcher.

Et il se détourna pudiquement pour ne pas voir.

J’espérais le rejoindre, l’inviter à déjeuner, lui faire accepter au moins un verre de biè