Page:Saint-Saëns - Portraits et Souvenirs, Société d’édition artistique.djvu/142

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a trouvé tant d’obstacles sur son chemin. Qu’un génie abrupt comme Berlioz, habitant les sommets inaccessibles, voie difficilement le public venir à lui, cela est dans l’ordre naturel des choses. Mais Bizet ! la jeunesse, la sève, la gaieté, la bonne humeur faite homme !

Le compositeur de musique est devenu, par suite de la difficulté des temps, un être singulièrement compliqué, une sorte de diplomate au petit pied ; il dissimule sans cesse, il feint de feindre, comme s’il jouait les Fausses Confidences de Marivaux ; et s’il vous dit négligemment qu’il fait beau, ou qu’il pleut, ou qu’il est jour en plein midi, vous vous apercevrez longtemps après que ces paroles insignifiantes avaient un but secret, un sens caché et profond.

Tel n’était point Georges Bizet ; son amour pour la franchise, fût-elle rude, s’étalait au grand jour ; loyal et sincère, il ne dissimulait ni ses amitiés ni ses antipathies. C’était, entre lui et moi, un trait commun de caractère qui nous avait rapprochés. Pour le reste, nous différions du tout au tout, poursuivant un idéal différent : lui, cherchant avant tout la passion et la vie ; moi, courant après la chimère de la pureté du style et de la perfection de la forme. Aussi nos causeries n’avaient-elles jamais de fin ; nos discussions amicales avaient une vivacité et un charme que je n’ai plus retrouvé depuis avec personne.

Bizet n’était pas un rival, c’était un frère