Page:Saint-Saëns - Portraits et Souvenirs, Société d’édition artistique.djvu/180

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Hoffmann dans un de ses contes, elle est aussi la grande amoureuse, la seule femme à la taille de don Juan, qui l’eût aimé et qu’il eût aimée, et que son double crime en sépare à jamais. Ainsi que la douce Elvire n’est pas faite pour don Juan, le doux Ottavio n’est pas fait pour Donna Anna ; elle croit l’aimer et lui promet sa main ; en réalité, elle ne l’aime pas et ne l’épousera jamais.

J’ai parlé de la douce Elvire ; ce caractère est encore une invention du musicien. Da Ponte avait créé une sorte de personnage comique, de femme « crampon » ; Mozart l’a changée en une élégiaque et sympathique figure, méconnue la plupart du temps, mal interprétée et incomprise par conséquent du public. L’intention de l’auteur est pourtant bien visible dans le merveilleux trio du balcon, sacrifié d’ordinaire aux lazzi de Don Juan et de Leporello, mettant au premier plan une partie bouffe destinée par l’auteur à être accessoire. Je n’ai vu ce délicieux rôle établi comme il doit l’être que par Mme Carvalho, à Londres. Quand elle disait : « Gli vo’ cavar il cor », on sentait la fragilité de cette colère, et la tendresse au fond du cœur ulcéré. Délicates nuances qui demandent, pour être rendues, un talent également délicat ; et connaissez-vous quelque chose de plus rare au monde ?