Aller au contenu

Page:Saint-Saëns - Portraits et Souvenirs, Société d’édition artistique.djvu/196

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

et n’existent plus que pour la lecture. Où jouerait-on Corneille, Racine ou Molière, sans le Théâtre-Français et l’Odéon qui sont forcés de les jouer ? Quel théâtre pourrait jouer Shakespeare en entier et tel qu’il est écrit ? On s’imagine avec peine comment les anciennes partitions se comportaient à la scène ; on s’imagine plus difficilement encore comment s’y comportait le Prométhée d’Eschyle.

Oui, la forme dramatique brille un moment pour rentrer ensuite dans une ombre éternelle, dans l’ombre des bibliothèques à laquelle sont condamnées dès leur naissance les autres formes littéraires, et quand la musique entre dans cette forme, elle subit nécessairement le même sort. Mais si elle ne brille qu’un instant, quel instant glorieux ! Quelle autre forme d’art peut se vanter d’agir avec cette puissance, de passionner à ce point la foule ? Elle passe ; mais tout passe en ce monde. La jeune fille s’épanouit en fleur de beauté ; elle se marie, la maternité alourdit sa taille et flétrit son teint, la voilà pour toute sa vie une mère de famille. Dira-t-on qu’elle a eu tort d’être belle ? La fourmi prend un jour des ailes et s’envole dans un rayon de soleil : cette ivresse ne dure que quelques heures. Dira-t-on que la fourmi a eu tort d’avoir des ailes ?

C’est encore une bonne plaisanterie, de prétendre que Palestrina et Sébastien Bach défient les siècles ; cela est bon à dire au peuple, pour employer le mot de Lucrèce Borgia au duo de Ferrare. La vérité, pour Palestrina, c’est que personne ne