Page:Saint-Saëns - Portraits et Souvenirs, Société d’édition artistique.djvu/204

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

prenez une poulie mal graissée, votre batterie de cuisine, un chien empoisonné et battez un tapis sur le tout, vous en aurez à peu près l’idée.

Mais il était impossible d’y rien comprendre. Les ouvreuses, en femmes intelligentes, vous distribuaient des programmes quelconques, sans rapport avec ce qui se passait sur la scène, qui achevaient de vous égarer ; aussi quel plaisir ?

Savez-vous bien que ce succès jette un jour singulier sur celui du théâtre de Bayreuth ? On sait que la majorité du public y est composée de gens venus de tous les points du globe, ignorant la langue allemande et ne sachant pas une note de musique ; ils ne cherchent pas même à comprendre, et viennent là pour se faire hypnotiser. Est-ce bien la ce que l’auteur avait rêvé ?

Laissons ces naïfs, et occupons-nous des adeptes, des purs. Ceux-ci sont de vrais fanatiques. L’œuvre du maître ne saurait être discutée ; on l’écoute en silence, comme la parole de Dieu tombant du haut de la chaire. Si d’interminables longueurs engendrent un terrible ennui, on ne s’en préoccupe pas plus que de celui qu’exhale le chant monotone des Psaumes, à l’office des vêpres ; si l’on ne peut comprendre certains passages d’une obscurité vraiment impénétrable, on humilie sa raison devant la parole divine, et des commentateurs s’exercent sur ces mystères, comme on l’a fait sur ceux de la Bible ; si certaines sauvageries musicales déchirent l’oreille, on endure patiemment ces beautés cruelles, on reçoit