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Page:Saint-Saëns - Portraits et Souvenirs, Société d’édition artistique.djvu/24

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de Sébastien Bach, que je lui fis connaître un jour ; il n’en revenait pas que le grand Sébastien eût écrit des choses pareilles ; et il m’avoua qu’il l’avait toujours pris pour une sorte de colossal fort-en-thème, fabricant de fugues très savantes, mais dénué de charme et de poésie. A vrai dire, il ne le connaissait pas.

Et cependant, malgré tout cela et bien d’autres choses encore, il a été un critique de premier ordre, parce qu’il a montré ce phénomène unique au monde d’un homme de génie, à l’esprit délicat et pénétrant, aux sens extraordinairement raffinés, racontant sincèrement des impressions qui n’étaient altérées par aucune préoccupation extérieure. Les pages qu’il a écrites sur les symphonies de Beethoven, sur les opéras de Gluck, sont incomparables ; il faut toujours y revenir quand on veut rafraîchir son imagination, épurer son goût, se laver de toute cette poussière que l’ordinaire de la vie et de la musique met sur nos âmes d’artistes, qui ont tant à souffrir dans ce monde.

On lui a reproché sa causticité. Ce n’était pas chez lui méchanceté, mais plutôt une sorte de gaminerie, une verve comique intarissable qu’il portait dans la conversation et ne pouvait maîtriser. Je ne vois guère que Duprez sur qui cette verve se soit exercée avec quelque persistance dans des articles facétieux ; et franchement le grand ténor avait bien mérité d’être un peu criblé de flèches. N’a-t-il pas narré lui-même, dans ses Mémoires,