Page:Saint-Saëns - Portraits et Souvenirs, Société d’édition artistique.djvu/49

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apôtre, quand il jouait Saint François de Paule marchant sur les flots, et l’on croyait voir, on voyait réellement l’écume des vague furieuses voltiger autour de sa face impassible et pâle, au regard d’aigle, au profil tranchant. A des sonorités violentes, cuivrées, il faisait succéder des ténuités de rêve ; des passages entiers étaient dits comme entre parenthèses. Le souvenir de l’avoir entendu console de n’être plus jeune ! Sans aller jusqu’à dire, comme M. de Lenz, « celui qui aurait autant de mécanisme que lui en serait par cela même plus éloigné », il est certain que sa technique prodigieuse n’était qu’un des facteurs de son talent. Ce qui faisait en lui le génial exécutant, ce n’était pas seulement ses doigts mais le musicien et le poète qui étaient en lui, son grand cœur et sa belle âme ; c’était surtout l’âme de sa race.

Son grand cœur, il apparaît tout entier dans le livre consacré à Chopin. Où d’autres auraient vu un rival, Liszt n’a voulu voir qu’un ami et s’est efforcé de montrer l’artiste créateur là où le public ne voyait qu’un séduisant virtuose. Il écrivait en français dans un style bizarre et cosmopolite, il prenait partout et jusque dans son imagination les mots dont il avait besoin ; nos modernes symbolistes nous en ont fait voir bien d’autres ! Malgré cela, le livre sur Chopin est des plus remarquables et aide merveilleusement à le comprendre. Je n’y vois à reprendre qu’un jugement un peu sévère sur la Polonaise-Fantaisie, une