Page:Saint-Saëns - Portraits et Souvenirs, Société d’édition artistique.djvu/48

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ses œuvres, un peu trop même au gré de l’Allemagne et de ceux qui vont prendre le ton chez elle, affectant un véritable mépris pour toute phrase chantante régulièrement développée, et ne se plaisant qu’à la polyphonie, fût-elle lourde, embarrassée, inextricable et maussade ; peu importe, dans un certain monde, que la musique soit dépourvue d’agrément, d’élégance, d’idées même et de véritable écriture, pourvu qu’elle soit compliquée ; c’est un goût comme un autre et cela ne saurait se discuter. Mais la richesse mélodique des œuvres qui nous occupent est complétée par une non moins grande richesse harmonique. Dans son exploration hardie des harmonies nouvelles, Liszt a dépassé de beaucoup tout ce qui avait été fait avant lui ; Wagner lui-même n’a pas atteint l’audace du Prélude de Faust, écrit dans une tonalité inconnue, quoique rien n’y blesse l’oreille et qu’il soit impossible d’en déranger une note.

Liszt a l’inappréciable avantage de caractériser un peuple. Schumann, c’est l’âme allemande ; Chopin, c’est l’âme polonaise ; Liszt, c’est l’âme magyare, faite d’un savoureux mélange de fierté, d’élégance native et d’énergie sauvage. Ces qualités s’incarnaient merveilleusement dans son jeu surnaturel, où se rencontraient les dons les plus divers, ceux même qui semblent s’exclure, comme la correction absolue et la fantaisie la plus échevelée ; paré de sa fierté patricienne, il n’avait jamais l’air d’un monsieur qui joue du piano. Il semblait un