Page:Saint-Saëns - Portraits et Souvenirs, Société d’édition artistique.djvu/79

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d’où s’échappait en flots abondants une fumée roussâtre que le vent de la scène rabattait dans la salle, et chacun d’ouvrir avidement ses narines pour aspirer les parfums dont s’enivrait la belle Grecque. Horreur ! une affreuse odeur, analogue à celle des feux de Bengale, se répandit rapidement jusqu’aux loges du fond, et les jolies spectatrices, tout effarouchées, durent chercher dans leurs mouchoirs de dentelle un rempart protecteur contre cette désagréable invasion.

Ce ballet, chef-d’œuvre du genre, Gounod faillit ne pas l’écrire. Quelque mois avant l’apparition de Faust à l’Opéra, il m’avait envoyé en ambassadeur notre jeune ami le peintre Emmanuel Jadin, chargé par lui d’une mission délicate. Au moment de commencer, Gounod avait été pris de scrupules : il était alors plongé dans les idées religieuses qui ne lui permettaient pas de se livrer à un travail aussi essentiellement profane ; il me priait de m’en charger à sa place et d’aller causer avec lui de ce projet. On jugera facilement de mon embarras. Je me rendis à Saint-Cloud, j’y trouvai le maître occupé à faire dévotement une partie de cartes avec un abbé. Je me mis entièrement à sa disposition, lui objectant toutefois que la musique d’un autre, introduite au travers de la sienne, ne saurait produire un bon effet, et que si j’acceptais la tâche qui m’était offerte, c’était à la condition expresse qu’il demeurât toujours libre de reprendre sa parole et de substituer sa mu