Page:Saint-Saëns - Portraits et Souvenirs, Société d’édition artistique.djvu/81

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de Saint-Victor. Amours ancillaires, séduction, abandon, infanticide, condamnation à mort et folie, telle est la trame très prosaïque sur laquelle Gœthe a brodé ses éclatantes fleurs poétiques. Sans y rien changer, les auteurs français ont fait une transposition du personnage ; c’était leur droit, et le succès, en Allemagne même, leur a donné raison.

L’apparition de Méphistophélès dans la scène de l’église a donné prise à la critique. Dans le poème de Gœthe, ce n’est pas Méphistophélès, mais un « méchant esprit » — böser Geist — qui tourmente l’infortunée Gretchen. La scène (assez bizarre, en somme, car ce n’est pas d’ordinaire un méchant esprit qui inspire les remords) est poétiquement belle et très musicale. Fallait-il, pour ne pas s’en priver, introduire un nouveau personnage, un petit rôle pour lequel on eût difficilement trouvé un interprète de premier ordre ? Chose à peine croyable, la censure d’alors était ai chatouilleuse qu’elle faillit interdire cette scène ; et pour qui connaît les principes de Gounod en matière d’accent et de prosodie, tant en latin qu’en français, il n’est pas douteux que le chœur Quand du Seigneur le jour luira ait été primitivement écrit sur la Prose Dies irœ, dies illa, dont ladite censure n’aurait jamais permis l’audition dans un théâtre. Aujourd’hui encore, elle y tolère à peine les signes de croix, alors qu’on ne craint pas d’en tirer des effets comiques dans la très catholique Espagne.