Page:Saint-Saëns - Portraits et Souvenirs, Société d’édition artistique.djvu/85

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Mais, lui dis-je, si vous entourez le paganisme de telles séductions, quelle figure fera près de lui le christianisme ? — Je ne puis pourtant pas lui ôter ses armes, » me répondit-il avec un regard dans lequel il y avait des visions de nymphes et de déesses. Ce que je craignais arriva ; les païens, sous les traits de M. Lassalle, de M. Warot, de Mlle Mauri, l’emportèrent sur les chrétiens qui parurent ennuyeux. Faut-il rappeler que le chef-d’œuvre de Corneille ne put réussir que lorsque Rachel et Beauvallot le jouèrent au Théâtre-Français ? Du vivant de l’auteur, la tragédie avait paru glaciale.

On sait que le sujet de Polyeucte avait séduit Donizetti ; et bien qu’il se soit élevé dans cette partition au-dessus de son style ordinaire, bien que l’ouvrage, représenté d’abord en italien (Poliuto), puis en français (les Martyrs), ait eu plus tard au Théâtre-Italien des soirées heureuses avec Tamberlick et Mme Penco, il est aujourd’hui complètement oublié. C’est pourtant un beau sujet que Polyeucte ; mais l’optique de la scène est si étrange ! Au théâtre, où la science et l’étude paraissent comiques, où les crimes les plus affreux ne sont pas sans attrait, l’amour divin est peu intéressant.