Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 1.djvu/330

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

L’armée partit en effet le lendemain 20 juillet, et marcha sur quatre colonnes par les bois, jusque dans la plaine de Hockenun, les deux lignes rompues par leurs centres qui eurent l’avant-garde, et les droites et les gauches l’arrière garde. Mélac, lieutenant général de jour, fit l’arrière-garde de tout à la gauche avec un gros détachement, et le maréchal de Joyeuse, avec un autre, se chargea de l’arrière-garde de tout à la droite, le tout sans aucun bruit de trompettes, de timbales ni de tambours. La Bretesche, lieutenant général, menoit notre colonne. Il entendit quelques bruits de guerre malgré les défenses. Nous étions vus et entendus des troupes de Schwartz postées sur des hauteurs, qui fit ce qu’il put pour nous attirer vers lui. Comme on ne gagnoit rien à cette sourdine imparfaite, La Bretesche permit tout le bruit de guerre. Le prince Louis ne montra aucune troupe au maréchal de Joyeuse, et nous arrivâmes tous à la plaine d’Hockenun, sans avoir été suivis de personne.

Le débouché se fit dans une telle confusion que personne ne se trouva à sa place, ni à la tête ou à la suite des troupes avec lesquelles on devoit être. À ce désordre il s’en joignit d’autres ; la cavalerie étoit parmi le bois, l’infanterie dans la plaine, nul intervalle entre les lignes ni entre les bataillons et les escadrons, tout en foule et pêle-mêle et sans aucun espace à se pouvoir remuer. Une situation si propre à faire battre toute l’armée par une poignée de gens qui l’auroit suivie, ou qui s’en seroit aperçue à temps, dura plus de quatre heures qu’on mit à se débrouiller et à se débarrasser les uns des autres, sans qu’il fût possible aux officiers généraux de replacer les troupes dans leur ordre.

On attendit là que les menus bagages eussent passé le Rhin à Ketsch, et que notre pont de bateaux y fût rompu et amené et redressé à Manheim.

Deux raisons avoient empêché de faire traverser l’armée à Ketsch : la difficulté d’y faire d’assez grands et bons re-