Aller au contenu

Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 1.djvu/14

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
x
INTRODUCTION.

les autres plaisirs : mais il est glorieux ; il tient au vieux culte ; il se fait un idéal de vertu patriotique qu’il combine avec son orgueil personnel et ses préjugés de rang. Et avec cela il est artiste, et il l’est doublement : il a un coup d’œil et un flair[1] qui, dans cette foule dorée et cette cohue apparente de Versailles, vont trouver à se satisfaire amplement et à se repaître ; et puis, écrivain en secret, écrivain avec délices et dans le mystère, le soir, à huis clos, le verrou tiré, il va jeter sur le papier avec feu et flamme ce qu’il a observé tout le jour, ce qu’il a senti sur ces hommes qu’il a bien vus, qu’il a trop vus, mais qu’il a pris sur un point qui souvent le touchait et l’intéressait. Il y a là des chances d’erreur et d’excès jusque dans le vrai. Il est périlleux, même pour un honnête homme, s’il est passionné, de sentir qu’il écrit sans contrôle, et qu’il peint son monde sans confrontation. Je ne parle en ce moment que de ce qu’il a observé lui-même et directement : car, pour ce qu’il n’a su que par ouï-dire et ce qu’il a recueilli par conversation, il y aura d’autres chances d’erreur encore qui s’y mêleront.

Quoique Saint-Simon ne paraisse pas avoir été homme à mettre de la critique proprement dite dans l’emploi et le résultat de ses recherches, et qu’il ne semble avoir guère fait que verser sur sa première observation toute chaude et toute vive une expression ardente et à l’avenant, son soin ne portant ensuite que sur la manière de coordonner tout cela, il n’est pas sans s’être adressé des objections graves sur la tentation à laquelle il était exposé et dont l’avertissait sans doute le singulier plaisir qu’il trouvait à y céder. Religieux par principes et chrétien sincère, il se fit des scrupules de conscience, ou du moins il tint à les empêcher de naître et à se mettre en règle contre les remords et les faiblesses qui

  1. Je n’emploie le mot que parce que lui-même me le fournit. Il dit quelque part, à l’occasion des joies secrètes et des mille ambitions flatteuses mises en mouvement par une mort de prince : « Tout cela, et tout à la fois, se sentait comme au nez. »